Vice-Versa : la vie mouvementée d’un cerveau humain

L’équipe de Cogni’Junior comprenant quelques mordus de dessins animés, nous ne résistons pas à l’envie de partager notre impression sur le dernier film de Pixar, Vice-Versa, sorti en salles en France le 17 juin 2015. Nous y découvrons l’intérieur du cerveau de Riley, peuplé de cinq créatures ayant chacune une personnalité typique, correspondant à la joie, la tristesse, la peur, la colère et le dégoût. Alors que Riley, fille unique, vivant avec ses deux parents, doit déménager à San Francisco, la joie, qui était jusqu’alors principalement aux commandes, semble avoir disparue… Parallèlement à l’histoire de Riley, nous suivons donc l’aventure de Joie, perdue dans le cerveau, et souhaitant rejoindre au plus vite les quartiers généraux afin de redonner le sourire à Riley.

 

 

Cinq émotions nécessaires…

Les cinq émotions choisies correspondent pour plusieurs scientifiques à des émotions dites primaires. Bien que leur classification précise et leur caractère universel soient débattus (1), elles seraient présentes dès l’enfance et communes avec les vertébrés supérieurs. Leurs fonctions, dans le film, comme dans la réalité, sont d’aider à interpréter l’environnement, agir, penser, communiquer. Chacune a son importance, malgré ses désavantages. Le dégoût permet ainsi de se protéger contre des substances potentiellement néfastes pour l’organisme, mais il s’avère délétère lorsqu’il s’étend de manière injustifiée aux relations humaines, restreignant la sociabilité. La peur, pour sa part, aide à éviter les dangers mais est parfois paralysante pour agir dans des environnements nouveaux. La colère se manifeste lorsque l’on s’oppose à une situation, ce qui aide à défendre ses valeurs auprès d’autrui. Mais elle pousse à réagir impulsivement et sans tenir compte de tous les aspects de la situation. La tristesse, représentée par un personnage hilarant, permet, par la sensation de manque, de comprendre ce qui nous est cher, ou de faire l’expérience de l’empathie. Cependant, elle peut contraindre au manque d’initiatives et à la dépression. La joie, au contraire, favorise les comportements d’approche.

 

… Mais à garder sous contrôle !

Les émotions permettent de prendre des décisions rapides et intuitives, issues de leurs fonctions évolutives. Ainsi en est-il de la peur ressentie face à un animal dangereux, ou de la joie accompagnant l’acte sexuel. Cependant, en cas de dysfonctionnement, il est nécessaire de les réguler afin de s’adapter au mieux à l’environnement. Par exemple, nous pouvons ressentir une peur intense en apercevant, dans une forêt, une branche ressemblant à un serpent. Mais une fois que nous prenons conscience qu’il s’agit d’une chose inoffensive, nous nous calmons. Dans Vice-Versa, la joie est mobilisée au maximum afin de proposer des solutions créatives aux problèmes, prendre du recul, alimenter l’imagination et l’anticipation positive. Représentée à la manière d’une fée clochette, elle apparaît comme le personnage principal. En réalité, la régulation des émotions est en grande partie assurée par le cortex préfrontal, situé à l’avant du cerveau (sous le front !).

 

Mémoire et coloration des souvenirs

Dans Vice-Versa, chacune des émotions est associée à une couleur, qui teinte les souvenirs, représentés sous la forme d’une boule en verre. La mémoire qui est ici en jeu est la mémoire épisodique (localisée au niveau du lobe temporal), qui permet de stocker et récupérer les souvenirs des événements de notre vie, et le contexte spatial et temporel de leur occurrence. Mais nous disposons aussi d’autres types de mémoire, qui ne sont pas représentés dans le film : la mémoire sémantique, correspondant aux connaissances générales que nous avons sur le monde (par exemple : « Pixar est un studio de production cinématographique ») et la mémoire procédurale, qui nous permet de développer des habiletés motrices, cognitives et verbales s’exprimant dans l’action (par exemple : faire du vélo). Dans le film, la coloration des souvenirs, modifiée selon l’évolution de la personnalité de Riley, leur renforcement et affaiblissement sont des phénomènes illustrant d’une façon très poétique la construction de l’identité.

 

Le sommeil : fermeture des quartiers généraux du cerveau ?

Lorsque Riley dort, nous voyons le cerveau complètement inactif, à l’exception d’une créature qui surveille, sur un écran, la génération des rêves. En réalité, notre cerveau est loin d’être inactif la nuit, et contribue toujours à la formation de la mémoire. C’est pendant le sommeil que certaines connexions cérébrales sont affaiblies ou renforcées : comme nous ne pouvons nous souvenir de tout, le cerveau trie en fonction des besoins. Le sommeil s’avère également très précieux pour consolider les apprentissages, en rejouant ce que l’on a fait en état de veille. Le train de la pensée devrait donc avoir un fonctionnement 24h/24h, quelques soient les revendications des employés !

 

Une infinité de petites créatures dans notre cerveau

On regrettera enfin, dans le dessin animé, l’image courante d’un bonhomme à forme humaine qui appuie sur un bouton pour faire fonctionner le cerveau. Bien que la vulgarisation et le souhait de divertir poussent à créer des personnages aux formes humaines (Mimi n’est pas exemptée), cela nous confronte à un problème logique dit « de régression à l’infini » : les petites créatures dont nous suivons les tribulations ayant également leurs propres émotions, qui appuie sur leurs boutons ? En fait, il s’agit du cas, classique en sciences cognitives, de l’homonculus, un « petit homme » (comme l’étymologie l’indique) qui régirait le fonctionnement du cerveau mais dont le propre fonctionnement reste à expliquer ! Les réalisateurs n’ont pas souhaité illustrer les vraies cellules et constituants peuplant le cerveau. Vous pouvez découvrir les neurones et cellules gliales dans notre conte « Mimi la microglie ».

 

Malgré ces quelques critiques d’ordre scientifique (plus ou moins justifiées dans la mesure où le dessin animé de Pixar ne semble pas avoir pour vocation d’être un documentaire), nous vous recommandons chaudement ce film vivant, plein d’humour et visuellement très agréable. Après Big Héro, on ne peut que noter la volonté des studios d’animations de s’ouvrir vers ce vaste domaine des sciences cognitives et d’ancrer un peu plus celui-ci dans le quotidien des jeunes. En espérant avoir vos commentaires =)

 

 

(1) Certains auteurs ajoutent par exemple la suprise (Ekman, Plutchik), d’autres parlent de satisfaction et non de joie (Kempler), ou de mépris à la place du dégoût (Izard). Le débat repose sur la définition précise des émotions primaires et de leur distinction par rapport aux émotions secondaires. Pour certains auteurs (tel que Plutchik), ces dernières seraient composées de deux émotions primaires (par exemple, la tristesse et la surprise formeraient la déception). Pour d’autres (Oatley et Johnson-Laird), elles correspondent à l’association d’une émotion primaire et d’une représentation. Ainsi, la classification du mépris peut être discutée car ce ressenti implique l’application d’un jugement de valeur. Vous pouvez consulter ces pages pour plus d’informations.

 

Vous trouverez également l’avis de deux chercheurs ici et . Nous vous recommandons enfin la lecture de cet excellent article.