Jessica Massonié

Livre : Le cerveau expliqué à mon petit fils

Cela faisait plusieurs fois que je voyais Le Cerveau expliqué à mon petit-fils dans les bibliothèques, rayon « Enfants », et je me suis décidée à l’acheter.

Jean-Didier Vincent est professeur de physiologie, membre de l’Académie ds Sciences et de l’Académie de Médecine. Dans ce livre, il explique à l’aide de plusieurs mini-chapitres l’anatomie et les fonctions (mémoire, langage, contrôle des sens…) du cerveau. Il replace aussi ces découvertes dans un contexte historique, résumant l’émergence des sciences cognitives et les débats associés, tels que les liens entre l’esprit, la pensée et le cerveau.

 

J’ai toutefois été surprise par le style de l’ouvrage, que j’imaginais plus ludique. Le format de « dialogue » semble par moments un peu artificiel, et les transitions, à l’écrit, sont un peu brutales. Le contexte dans lequel j’avais trouvé le livre et mes propres préconceptions m’avaient amenée à imaginer le « petit fils » comme un enfant d’école élémentaire. Fausse route ! Il est en fait âgé de 16 ans. Les explications reposent donc sur des connaissances scolaires et culturelles déjà fournies (le cerveau, les hormones commencent à être enseignés au lycée). Le niveau m’a tout de même semblé un peu haut, les phrases étant denses, et le vocabulaire riche. Par exemple, en parlant du sommeil paradoxal, Jean-Didier Vincent écrit : « Il consoliderait les traces mnésiques ayant une valeur essentielle à la survie du rêveur. C’est en effet dans le domaine de l’adaptation et de la dimension temporelle de l’état fluctuant de la psyché que se trouve la fonction la plus importante de ce sommeil » p. 50 (souligné par nous). Comprendre cette phrase requière d’avoir saisi plusieurs notions en amont. Un glossaire, et davantage de schémas pour les parties techniques, auraient peut-être été les bienvenus.

La richesse de cet ouvrage en fait cependant un outil intéressant pour préparer, en tant qu’éducateur, des interventions ou leçons sur le cerveau. Pour les jeunes enfants, un deuxième effort de clarification et de vulgarisation semble nécessaire. Ayant moins d’expérience avec des élèves de lycée que du primaire, je vous laisse juges du niveau de difficulté : certains passages peuvent peut-être s’intégrer plus que d’autres au programme traditionnel. De manière globale, ce livre condense les thèmes principaux des sciences cognitives, et les informations permettent d’alimenter une culture certaine pour entretenir des interactions avec les enfants.

BD: Les petites bulles de l’attention

Une BD pour comprendre les mécanismes de l’attention ? Dessinée et rédigée par un Directeur de recherche ? C’est possible !

Jean-Philippe Lachaux travaille au sein de l’Unité Inserm “Dynamique Cérébrale et Cognition” à Lyon. En cette fin d’année 2016, les éditions Odile Jacob publient son ouvrage Les petites bulles de l’attention. Se concentrer dans un monde de distraction. On voit assez rapidement que le format est inédit : plus petit qu’une BD, plus grand qu’un livre, assez fin mais bien rempli.

Le “livre” comprend trois parties:

  1.  Une BD sur l’attention, destinée aux petits et grands (dès la maternelle)
  2. Une reprise et un approfondissement des explications, sous forme de texte, assorti de dessins et propositions d’expériences pour mieux comprendre son attention
  3. Un petit jeu de questions / réponses pour ceux qui se demandent toujours comment se concentrer

On pourra s’étonner de découvrir que les dessins, au design comique et coloré, sont de l’auteur lui-même. Chaque planche de BD porte un titre explicite, pour expliquer une notion précise. Jean-Philippe Lachaux commence par expliquer ce qu’est le cerveau et à quoi il sert. Les neurones entrent bien entendus en scène, prenant la forme de créatures proches des éléphants: les informations arrivent pas les oreilles (dendrites) et les messages sont envoyés par la trompe (l’axone). Si vous trouvez que cela est différent de notre version Cogni’Junior, c’est parce que ces fascinantes cellules éveillent des idées et métaphores différents chez les scientifiques eux-mêmes ! La BD oscille entre un format narratif et des explications scientifiques, toujours illustrées. Le livre est écrit à la 2e personne du singulier et le personnage principal est le lecteur (désolé, vous serez un chauve à la tête bien ronde). Pour différentes actions exécutées par le personnage, on voit ses neurones s’activer.

Jean-Philippe Lachaux explique les mécanismes de l’attention avec beaucoup d’imagination et d’humour. Il utilise des images vivantes et des métaphores pratiques visant à mieux contrôler son attention. On retrouve ainsi Maximoi, le sage aux grandes intentions, qui donne des missions précises et concrètes à Minimoi pour une exécution rapide et efficace. L’image de la poutre est aussi très parlante pour qualifier le type d’attention requis pour certaines tâches: plus ou moins longue, plus ou moins étroite (difficile à traverser), plus ou moins haute (associée à des enjeux importants).

Nous allons nous arrêter là pour ne pas spoiler la lecture 🙂

Le texte suivant la BD en reprend les notions principales. On regrettera parfois de ne pas avoir eu des informations plus tôt. Par exemple, les neurones de la BD ont différentes couleurs en fonction de leur localisation dans le cerveau. (C’est peut-être fait exprès pour relire la BD !). De plus, Jean-Philippe Lachaux utilise l’image de neurones- chefs pour parler des neurones du cortex préfrontal, notamment impliqués dans la planification d’actions complexes. Etant donné cette fonction de coordination, c’est une métaphore tout à fait justifiée. Cependant, c’est un parti pris que nous avons souhaité éviter dans notre narration Mimi la microglie, afin de mettre en avant l’activation de réseaux cérébraux étendus et de ne pas donner l’image d’un centre localisé de l’identité. On comprend bien toutefois dans l’ouvrage de Jean-Philippe Lachaux qu’une personne se définit par de multiples désirs, intentions et actions impliquant un vaste ensemble de neurones. La deuxième partie de l’ouvrage est donc une reprise utile de la BD, et les expériences proposées sont simples et ludiques. Un petit bonus aurait peut-être été une liste de références externes pour continuer la recherche d’information sur le sujet (à la fois pour les éducateurs et les jeunes).

En bref, un livre à recommander, pour entrer dans le sujet, passer un bon moment et/ou discuter de l’attention avec les plus jeunes.

  • Pour un format plus traditionnel de livre scientifique, vous pourrez trouver l’ouvrage Le Cerveau Funambule. Comprendre et apprivoiser son attention grâce aux neurosciences (2015), du même auteur.
  • Comme on est un peu égoïstes, on vous fait un peu de pub pour notre BD.
  • La Main à la Pâte propose des activités à faire en classe sur l’attention.

 

Jessica Massonnié

Vice-Versa : la vie mouvementée d’un cerveau humain

L’équipe de Cogni’Junior comprenant quelques mordus de dessins animés, nous ne résistons pas à l’envie de partager notre impression sur le dernier film de Pixar, Vice-Versa, sorti en salles en France le 17 juin 2015. Nous y découvrons l’intérieur du cerveau de Riley, peuplé de cinq créatures ayant chacune une personnalité typique, correspondant à la joie, la tristesse, la peur, la colère et le dégoût. Alors que Riley, fille unique, vivant avec ses deux parents, doit déménager à San Francisco, la joie, qui était jusqu’alors principalement aux commandes, semble avoir disparue… Parallèlement à l’histoire de Riley, nous suivons donc l’aventure de Joie, perdue dans le cerveau, et souhaitant rejoindre au plus vite les quartiers généraux afin de redonner le sourire à Riley.

 

 

Cinq émotions nécessaires…

Les cinq émotions choisies correspondent pour plusieurs scientifiques à des émotions dites primaires. Bien que leur classification précise et leur caractère universel soient débattus (1), elles seraient présentes dès l’enfance et communes avec les vertébrés supérieurs. Leurs fonctions, dans le film, comme dans la réalité, sont d’aider à interpréter l’environnement, agir, penser, communiquer. Chacune a son importance, malgré ses désavantages. Le dégoût permet ainsi de se protéger contre des substances potentiellement néfastes pour l’organisme, mais il s’avère délétère lorsqu’il s’étend de manière injustifiée aux relations humaines, restreignant la sociabilité. La peur, pour sa part, aide à éviter les dangers mais est parfois paralysante pour agir dans des environnements nouveaux. La colère se manifeste lorsque l’on s’oppose à une situation, ce qui aide à défendre ses valeurs auprès d’autrui. Mais elle pousse à réagir impulsivement et sans tenir compte de tous les aspects de la situation. La tristesse, représentée par un personnage hilarant, permet, par la sensation de manque, de comprendre ce qui nous est cher, ou de faire l’expérience de l’empathie. Cependant, elle peut contraindre au manque d’initiatives et à la dépression. La joie, au contraire, favorise les comportements d’approche.

 

… Mais à garder sous contrôle !

Les émotions permettent de prendre des décisions rapides et intuitives, issues de leurs fonctions évolutives. Ainsi en est-il de la peur ressentie face à un animal dangereux, ou de la joie accompagnant l’acte sexuel. Cependant, en cas de dysfonctionnement, il est nécessaire de les réguler afin de s’adapter au mieux à l’environnement. Par exemple, nous pouvons ressentir une peur intense en apercevant, dans une forêt, une branche ressemblant à un serpent. Mais une fois que nous prenons conscience qu’il s’agit d’une chose inoffensive, nous nous calmons. Dans Vice-Versa, la joie est mobilisée au maximum afin de proposer des solutions créatives aux problèmes, prendre du recul, alimenter l’imagination et l’anticipation positive. Représentée à la manière d’une fée clochette, elle apparaît comme le personnage principal. En réalité, la régulation des émotions est en grande partie assurée par le cortex préfrontal, situé à l’avant du cerveau (sous le front !).

 

Mémoire et coloration des souvenirs

Dans Vice-Versa, chacune des émotions est associée à une couleur, qui teinte les souvenirs, représentés sous la forme d’une boule en verre. La mémoire qui est ici en jeu est la mémoire épisodique (localisée au niveau du lobe temporal), qui permet de stocker et récupérer les souvenirs des événements de notre vie, et le contexte spatial et temporel de leur occurrence. Mais nous disposons aussi d’autres types de mémoire, qui ne sont pas représentés dans le film : la mémoire sémantique, correspondant aux connaissances générales que nous avons sur le monde (par exemple : « Pixar est un studio de production cinématographique ») et la mémoire procédurale, qui nous permet de développer des habiletés motrices, cognitives et verbales s’exprimant dans l’action (par exemple : faire du vélo). Dans le film, la coloration des souvenirs, modifiée selon l’évolution de la personnalité de Riley, leur renforcement et affaiblissement sont des phénomènes illustrant d’une façon très poétique la construction de l’identité.

 

Le sommeil : fermeture des quartiers généraux du cerveau ?

Lorsque Riley dort, nous voyons le cerveau complètement inactif, à l’exception d’une créature qui surveille, sur un écran, la génération des rêves. En réalité, notre cerveau est loin d’être inactif la nuit, et contribue toujours à la formation de la mémoire. C’est pendant le sommeil que certaines connexions cérébrales sont affaiblies ou renforcées : comme nous ne pouvons nous souvenir de tout, le cerveau trie en fonction des besoins. Le sommeil s’avère également très précieux pour consolider les apprentissages, en rejouant ce que l’on a fait en état de veille. Le train de la pensée devrait donc avoir un fonctionnement 24h/24h, quelques soient les revendications des employés !

 

Une infinité de petites créatures dans notre cerveau

On regrettera enfin, dans le dessin animé, l’image courante d’un bonhomme à forme humaine qui appuie sur un bouton pour faire fonctionner le cerveau. Bien que la vulgarisation et le souhait de divertir poussent à créer des personnages aux formes humaines (Mimi n’est pas exemptée), cela nous confronte à un problème logique dit « de régression à l’infini » : les petites créatures dont nous suivons les tribulations ayant également leurs propres émotions, qui appuie sur leurs boutons ? En fait, il s’agit du cas, classique en sciences cognitives, de l’homonculus, un « petit homme » (comme l’étymologie l’indique) qui régirait le fonctionnement du cerveau mais dont le propre fonctionnement reste à expliquer ! Les réalisateurs n’ont pas souhaité illustrer les vraies cellules et constituants peuplant le cerveau. Vous pouvez découvrir les neurones et cellules gliales dans notre conte « Mimi la microglie ».

 

Malgré ces quelques critiques d’ordre scientifique (plus ou moins justifiées dans la mesure où le dessin animé de Pixar ne semble pas avoir pour vocation d’être un documentaire), nous vous recommandons chaudement ce film vivant, plein d’humour et visuellement très agréable. Après Big Héro, on ne peut que noter la volonté des studios d’animations de s’ouvrir vers ce vaste domaine des sciences cognitives et d’ancrer un peu plus celui-ci dans le quotidien des jeunes. En espérant avoir vos commentaires =)

 

 

(1) Certains auteurs ajoutent par exemple la suprise (Ekman, Plutchik), d’autres parlent de satisfaction et non de joie (Kempler), ou de mépris à la place du dégoût (Izard). Le débat repose sur la définition précise des émotions primaires et de leur distinction par rapport aux émotions secondaires. Pour certains auteurs (tel que Plutchik), ces dernières seraient composées de deux émotions primaires (par exemple, la tristesse et la surprise formeraient la déception). Pour d’autres (Oatley et Johnson-Laird), elles correspondent à l’association d’une émotion primaire et d’une représentation. Ainsi, la classification du mépris peut être discutée car ce ressenti implique l’application d’un jugement de valeur. Vous pouvez consulter ces pages pour plus d’informations.

 

Vous trouverez également l’avis de deux chercheurs ici et . Nous vous recommandons enfin la lecture de cet excellent article.